Dire et chanter étaient autrefois la même chose », écrit Rousseau, reprenant une formule antique, dans son Essai sur l’origine des langues. On ne saurait dire en moins de mots, ni avec plus de force, la parenté naturelle qui unit musique et langage. Tout se passe comme si, à ses yeux, à partir d’une fonction unique, s’étaient séparés deux modes d’expression, l’un, le langage, utilisant l’instrument naturel que constituent les organes phonateurs – bouche, langue, larynx, etc. –, l’autre ayant recours à des instruments artificiels, plus ou moins complexes, mais toujours issus de l’industrie humaine : entre le pipeau taillé dans un roseau et la machine compliquée des tuyaux d’orgue, il n’y a au fond qu’une différence de degré, mais non de nature : il s’agit toujours d’un artefact, destiné à prolonger les capacités du corps, comme le marteau sert à la main pour frapper avec plus de force. Les différences ne s’arrêtent pas là : le langage articule des signes, la musique organise des sons ; quelle parenté peut-il y avoir entre ces deux activités ? Et si nous vivons dans un monde pénétré de part en part par le langage, qu’il soit parlé ou écrit, on ne saurait en dire autant de la musique, qui semble être une activité spécifique, pratiquée pour elle-même et pas seulement comme média, comme le langage qui est pour nous instrumental. Il n’est que de constater la différence entre les lieux : la musique a ses lieux privilégiés, salles de concert, opéras, auditoriums, où elle est produite pour elle-même à l’exclusion de tout autre effet sonore, alors que le langage est partout, dans la rue, dans le métro, dans les maisons, de façon quasi permanente. Il est vrai que, à notre époque, on pourrait dire aussi que la musique est partout, et presque envahissante : reste néanmoins qu’elle a des lieux de prédilection ; il n’en est pas de même pour le langage, qui, lui, n’est jamais le résultat d’une présentation pour lui-même, mais est toujours là, toujours présent et effectif dans la communauté humaine, même si de temps en temps des plages de silence interrompent son flot. Autrement dit : on va au concert pour entendre de la musique, on ne va pas en quelque endroit que ce soit pour entendre parler.

Pourtant, certains ne s’y sont pas trompés : les poètes ont affirmé, certains avec plus de force explicite que d’autres, que le langage n’était pas la seule dimension de la poésie – j’entends, le langage que Mallarmé considérait comme commercial et vulgaire – mais qu’il fallait intégrer, en elle, à la simple expression linguistique des éléments qui sont ceux d’un système musical : le rythme, par exemple, qui est si fondamental dans toute œuvre musicale, est une des caractéristiques du vers, et nul n’ignore les querelles autour de l’alexandrin dont la rigidité rythmique a pu paraître, aux yeux d’un Victor Hugo par exemple, tout à fait insuffisante à traduire les mouvements divers de la psyché. Il est vrai que, entre la césure à l’hémistiche de l’alexandrin classique et le rythme ternaire qu’Hugo employait souvent, avec ses deux césures déterminant trois groupes de quatre syllabes, la différence expressive est très sensible : « Deux ennemis ! le czar, le Nord. Le Nord est pire… » La rigidité métronomique de l’alexandrin impose à l’expression poétique une sorte de carcan qui fige le courant libre de la pensée et surtout de l’émotion, tandis qu’un rythme plus libre permet d’en suivre mieux les méandres. De même, le rejet, ou les vers sans régularité, tentent de faire saisir par le lecteur le mouvement désordonné de l’esprit, qui ne suit pas toujours dans ses démarches la stricte logique, mais bien souvent les élans de l’émotion. Impossible aussi de ne pas rappeler le célèbre :

De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l’impair…

Extrait de l’étude de Monique Philonenko sur Cairn – En savoir +

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