Le livre de Johnnie Gratton, paru dans la prestigieuse collection Legenda, porte sur  » l’expressivité  » (expressivism), thèse esthétique selon laquelle les oeuvres d’art sont essentiellement, voire exclusivement, le produit d’une expression personnelle (act of personal expression). Les théories expressivistes ont constitué la première véritable alternative aux théories mimétiques, avec lesquelles se confondait la pensée européenne depuis son origine grecque. Ces nouvelles théories virent le jour après la Renaissance, avec le rôle essentiel que la pensée humaniste conféra au sujet. La pensée  » expressiviste  » s’imposa ensuite comme l’un des vecteurs de la résistance au rationalisme et à l’utilitarisme des Lumières, et connut son apogée au dix-neuvième siècle avec le Romantisme.

L’enquête de Gratton met au jour les différentes significations rassemblées sous le terme d’expressivité, dont on sait qu’il a suscité la méfiance des critiques poststructuralistes. Il identifie les principales théories expressivistes, avant d’analyser la façon dont deux auteurs envisagent leur propre expression artistique : Marcel Proust et Roland Barthes.

Le premier chapitre définit les interactions complexes entre trois courants contemporains : la théorie mimétique, la théorie génétique et la théorie de la genèse des formes (morphogenic). Gratton montre que celles-ci sont mues par un même idéal de convergence entre l’acte ou la forme de l’expression et le contenu de cette expression (objet, individu ou idée).

Les théories expressivistes simples décrivent le trajet de l’expression comme un mouvement simple et homogène de l’intérieur vers l’extérieur, de l’intériorité vers le monde. Selon ce modèle que Gratton nomme  » génétique « , le passage de l’idée à sa réalisation dans le langage s’opère de manière transparente et continue, sans que l’énonciateur ait à privilégier une forme d’expression par rapport à une autre. Un grognement constitue une expression au même titre qu’un roman.

L’expressivité a souvent été opposé à la représentation mimétique, mais Gratton nous rappelle que nombre de théories sur le fonctionnement de l’expression sont en fait fondées sur le modèle de l’imitation : pour parvenir à l’extérieur,  » ce qui est à l’intérieur  » doit être non seulement converti ou traduit, mais imité par le medium langagier chargé de l’exprimer. Ces accointances avec les théories de l’imitation ont contribué à jeter le soupçon sur la thèse expressiviste aux yeux de nombreux poststructuralistes.

Les théories les plus complexes de l’expressivité, dont l’oeuvre de Proust offre un exemple, reposent sur une sorte de tissage originel des formes (morphogenic knitting), où ce qui est exprimé sert de base à la suite de l’expression, dans une dynamique de récapitulation et de renouvellement. Ce modèle suppose une double action : un mouvement récessif de différenciation interne du matériau exprimé, associé à un mouvement externe qui recycle ce matériau par amplification et intégration. Les analogies mises au jour au moment de la genèse des formes expressives sont renvoyées dans cette boucle. En d’autres termes, les données psychologiques et phénoménologiques sont continûment redéployées les unes par rapport aux autres. En savoir +

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