Du Commandant
Dreyfus lisant ses Mémoires en 1912 ou de Guillaume
Apollinaire interprétant le Pont Mirabeau en 1913 au fameux
« atmosphère » d’Arletty en 1938
, et de
Paul Éluard récitant Liberté en 1953 à
Michel Foucault parlant des « Hétérotopies » à la radio en 1966, la plus modeste promenade à travers les cent dernières années de nos archives sonores suffit à s’en convaincre : les voix sont datées, elles ont une histoire, et cette histoire agit au jour le jour sur chaque voix individuelle en la faisant évoluer selon les archétypes à la mode, les normes sociales de l’époque, les usages phonatoires du lieu et les formats en faveur dans les médias du moment. En agissant insensiblement sur le rythme, l’intensité, l’accentuation, la hauteur de ton, l’accent, l’articulation des phonèmes, etc., les formats d’élocution se transforment au point de devenir méconnaissables d’une génération à l’autre, parfois même dans un délai beaucoup plus court. Depuis près d’un siècle, ce sont les médias de la communication de masse (radio, cinéma, télévision, réseaux sociaux) qui constituent sans doute l’observatoire le plus sensible pour observer ces phénomènes de mutation.
À cet égard, les médias ne jouent pas seulement un rôle de révélateur ou d’indice : par mimétisme professionnel, ils assurent aussi, plus ou moins à leur insu, des fonctions effectives d’incubateur (émergence, test et validation de nouveaux formats) et d’amplificateur (légitimation, amplification, propagation) grâce la diffusion massive de performances vocales, qui sont ressenties par les auditeurs comme autant de modèles potentiels à imiter. En matière d’évolution des voix, les médias, à l’écoute des métamorphoses du présent, sont donc à la fois un reflet sélectif et synthétique des usages les plus récents et un instrument de leur actualisation et de leur normalisation.
Mais les médias ont aussi leur logique propre dans la gestion de ces transformations : une logique réglée par l’audimat qui, par excès de zèle mercenaire, peut paradoxalement se retrouver en porte-à-faux avec les aspirations profondes du public et les règles du plus simple bon sens. Qu’il s’agisse du rythme, de l’économie défaillante des silences, du jeunisme, de la pub, de l’accent banlieue, ou du mimétisme à l’égard du pouvoir, le formatage des voix depuis une vingtaine d’années semble démontrer que, déstabilisés par le numérique et les incertitudes de l’audimat, les médias se sont installés dans une surenchère présentiste et communicationnelle qui traite la parole à peu près dans les mêmes conditions de rentabilité que s’il s’agissait d’une marchandise, c’est-à-dire en lui infligeant le format du flux tendu. En savoir +
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